THERESE CLERC
Une vieille dame ? Où avez-vous vu une vieille dame ?
Thérèse Clerc a 81 ans et une vie de militante pour les droits des femmes derrière elle. Son dernier combat ? Créer une maison de retraite pour femmes – écolo et autogérée, bien sûr. Rencontre.
04.06.2009 | Maria Kruczkowska | Gazeta Wyborcza
Ce soir-là, comme d’habitude, elle règne sur la Maison des femmes de
Montreuil [Seine-Saint-Denis]. Autour d’elle, une foule de jeunes
femmes arabes, métisses et asiatiques. Certaines sont venues avec leurs
enfants, d’autres sont seules. Elle, en chemise largement ouverte, ses
cheveux gris ramenés en chignon, le regard vif, un collier exotique
autour du cou. Elle n’a rien d’une grand-mère fragile ni d’une dame
distinguée. Pleine de vie et chaleureuse. Rien ne lui échappe. “Comment va, ma biche ?” lance-t-elle à une Marocaine. “Je te disais bien de ne pas de te remettre avec lui, mais tu ne m’as pas écoutée”, sermonne-t-elle au téléphone.
La Maison des femmes occupe une bonne moitié d’une rue fermée à la
circulation dans le centre de Montreuil. On y pénètre directement et,
dès la porte d’entrée, on sent une bonne odeur de café, un gâteau est
sur la table. A l’intérieur, des meubles en bois clair et une multitude
de bibelots artisanaux venus du monde entier. Les femmes sont blanches
et noires, voilées ou pas. Ici, elles peuvent entrer, bavarder, pleurer
ou rire. Apprendre leurs droits et trouver un conseil professionnel, si
bien sûr elles décident d’en profiter. “Les femmes doivent avoir un
endroit où respirer”, explique Thérèse Clerc, 81 ans. Depuis quarante
ans, elle se bat pour elles. Elle a fondé la Maison des femmes en 1999
avec l’aide de la mairie. Aujourd’hui, elle a une nouvelle idée. Elle
pense aux copines de son âge : elle est en passe de fonder une maison
de retraite d’un genre nouveau, un genre tout sauf tranquille. Une
maison “autogérée, écologique, citoyenne et solidaire pour femmes, explique Thérèse, nous voulons y emménager dès cette année.”
Il s’agira d’une communauté de petites vieilles énergiques. Elles
veulent gérer elles-mêmes leur vieillesse et leur mort mais, avant
cela, elles veulent rester actives ! Pour Thérèse Clerc, rien n’est
impossible. Elle vit pour son projet et se considère comme une
pionnière dans ce domaine. Les personnes âgées étant de plus en plus
nombreuses, Thérèse les encourage à prendre leur destin à
bras-le-corps. L’idée s’est concrétisée en 2003, peu après la fameuse
canicule qui a causé la mort de 15 000 personnes agées. Beaucoup sont
simplement décédées dans leur appartement, sans personne pour leur
donner un verre d’eau. Depuis, la vieillesse est un sujet d’actualité.
On en débat dans les universités. Des conférences internationales et
des symposiums y sont consacrés. Thérèse a l’habitude de s’y rendre. “Dans notre jeunesse, on voulait refaire le monde, aujourd’hui, on veut révolutionner nos vieux jours.”
La maison s’appellera Baba Yaga. Dans l’imaginaire populaire, il s’agit
de sorcières mangeuses d’enfants. Mais pour les féministes, au
contraire, les Babas Yagas sont sages, bonnes et fortes. Elles
cueillent des herbes médicinales, soignent les autres et savent lire
les ouvrages savants.
Quand les soixante-huitards réinventent la vieillesse
Thérèse Clerc montre avec fierté les plans de la future
maison : un bâtiment de trois étages, en briques écolo qui retiennent
la chaleur, un studio de 35 mètres carrés avec salle de bains adaptée
pour chaque pensionnaire. Il y aura aussi une piscine pour faire de la
gymnastique aquatique, des ateliers de poterie et de peinture, une
terrasse et une bibliothèque, ainsi que des chambres pour les visiteurs
et les infirmières. Mais tout cela n’est pas juste une question de
confort. Vus de Pologne, les retraités français ont peu de raisons de
se plaindre. Quand ils atteignent le grand âge, ils peuvent rester chez
eux. S’ils ont des difficultés pour préparer leurs repas, la mairie est
chargée de leur trouver une aide à domicile. Le médecin et l’infirmière
sont joignables par téléphone. Ils peuvent se choisir une maison de
retraite sur catalogue. La mairie de Montreuil a accordé près de
3 millions d’euros pour la Maison des Babas Yagas. Un concours
d’architecture a été organisé et 35 projets ont été déposés. “Nous avons éliminé tous ceux qui avaient construit des maisons de retraite par le passé”,
dit Thérèse. La génération des soixante-huitards veut bel et bien
réinventer la vieillesse. Car Thérèse Clerc n’est pas seule : de tels
projets se mettent en place dans toute l’Europe. A Nuremberg, une
maison fonctionne sur la même idée qu’à Montreuil. Brest et Besançon
sont prêts à suivre. Thérèse se déplace partout en France pour
sensibiliser les futurs retraités. “Ils sont nombreux, ces gens ordinaires qui veulent organiser leur vieillesse autrement que leurs parents”,
s’enthousiasme Thérèse. Elle avoue qu’il est plus facile de s’entendre
avec la génération des soixante-huitards qui n’ont pas peur d’affronter
les changements. “Ils comprennent immédiatement l’esprit du projet.”
En 1968, quand les murs étaient couverts des graffitis du type “Il est interdit d’interdire”,
Thérèse avait déjà 42 ans et quatre enfants. Elle a grandi dans une
famille bourgeoise fortunée. Père au bureau, mère aux fourneaux. Son
frère a fait des études. Elle, son destin, c’était celui de sa mère. “Le foyer, c’est le meilleur métier pour une femme”,
lui disait-elle. Elle s’est mariée à 20 ans, a eu des enfants, mais son
mariage s’est mal passé. La première dispute a éclaté quand Thérèse a
voulu ouvrir son compte bancaire sans en demander la permission à son
mari. Avant 1965, aux yeux de la législation française, ce n’était même
pas possible. Depuis, Thérèse Clerc n’a qu’un seul combat : les femmes,
encore et toujours les femmes.